lundi 5 avril 2010

Sur le bord de la route

Samedi matin, les patients sont calmes, nous travaillons dans la bonne humeur, alternant les pauses café qui partent en sucette, les fous-rire et le travail nickel. 14.15 je rentre tranquille chez moi satisfaite de cette matinée de travail.
14.25 un petit attroupement sur le bord de la route, une moto couchée derrière le fossé, je ne vois pas la victime. Je m'arrête, pour voir ci celle ci est prise en charge car les secours ne sont pas là. Je traverse la voie et m'approche du fossé. Il est là recroquevillé face contre terre. Une femme est en train de lui prendre le pouls téléphone en main. J'entends :
- Il est inconscient, je ne sens pas le pouls".
Je saute dans le fossé, prends le pouls carotidien. Rien. La femme me tend le téléphone pour me passer le régulateur. Rapidement, je décris la situation. Arrêt cardiaque, homme environ 25 ans recroquevillé sur le ventre le visage contre terre, le casque a été éjecté, du sang coule de l'oreille. J'annonce que je suis obligée de le retourner pour commencer une réanimation cardio respiratoire. Ok, je raccroche.
Je lève les yeux vers les personnes autour.
- J'ai besoin d'hommes pour m'aider à le mettre sur le dos !
Personne ne bouge. J'entends :
- Vous êtes folle, il ne faut pas toucher les victimes !
- Venez m'aider ! Là, dans 5 minutes il sera définitivement mort si on ne fait pas repartir son cœur ! C'est la priorité !
Un instant je le sens bouger, je reprends le pouls, rien. Je rappelle les hommes, pas un ne vient, seules quatre femmes descendent pour m'aider. Précautionneusement nous effectuons le retournement, je lui tiens la tête dans l'alignement du tronc. Du sang coule par les yeux et le nez. Il semble déjà mort, toujours pas de pouls, il ne respire pas. Je commence le massage cardiaque. Il faut l'insuffler. Je demande, un sac plastique qui tarde à venir. Je m'énerve !
- Putain, il n'y a personne qui a un sac plastique dans sa voiture !
On me tend un sac vert fluo. Une des femmes me dit qu'elle est secouriste, elle prend le relais sur le massage cardiaque. Toujours pas de pouls. Je confectionne un entonnoir et l'applique dans la bouche. On se coordonne pour alterner insufflation/massage. La bouche se remplit de sang, je ne peux plus insuffler. Il faudrait une aspiration... Avec des kleenex, j'essaie d'évacuer le sang pour dégager les voies respiratoires, inutile. Je reprends le massage cardiaque. Combien de temps déjà ? Les secours ne sont toujours pas là. J'entends :
- Douze minutes déjà, on les rappelle!
De temps en temps, j'arrête le massage pour prendre le pouls, je ne compte pas. Je ne le lâche pas des yeux. Toujours rien. Le visage du jeune homme est cireux, les yeux sont ouverts, sans expression et saignent. Je sais qu'il est mort.
Une autre infirmière de l'hôpital en civil, qui finissait sa garde sans doute comme moi, me rejoint et prend le relais, je lui explique brièvement la situation. Je prends la tête du jeune homme entre mes mains. Et là, je pense à ses parents... Mentalement je les réunis. Je me penche vers lui pour lui apporter le plus de chaleur et de réconfort possible.
Une sirène. Je me sens faiblir. Je dis, aux pompiers :
- Une aspiration, il a du sang plein la bouche !
L'instant suivant, une deuxième sirène, le Samu. Je vois arriver Isa, ma meilleure amie (infirmière au Samu). Je lui fais signe, un instant elle s'étonne et me sourit brièvement. Puis extrêmement méthodique et professionnelle, avec le médecin et les pompiers, ils intubent, massent, choquent, essaient de poser une voie centrale, ça merde, ça s'agite.
Je suis assise à un mètre en arrière sur le talus, hagarde, le pantalon, les mains et les avant-bras couverts de sang. Discrètement, je crache sans cesse, j'ai la nausée, impossible d'avaler ma salive. Le ciel est gris, je suis transie de froid par un vent glacé. Les sacs du Samu sont éventrés partout, je ne vois plus le jeune homme, ils sont tous autour. Sur le scope du life-pack le tracé du coeur est plat, seuls les complexes dus aux massages cardiaques font illusion. Un pompier me propose de venir dans le camion me réchauffer et me rincer. Je le suis, mes jambes me portent à peine.
J'attendrais jusqu'à la fin. A peu près 50 minutes d'acharnement supplémentaires. Je songe, il était sans doute déjà mort quand je suis intervenue, certainement sur le coup. Je l'avais senti bouger ? Une fausse impression ? Un tressaillement incoercible du à l'engagement du cerveau sous la pression de l'hémorragie cérébrale ? On ne l'a pas sauvé.
Hier, dans le journal, quatre lignes...
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