mercredi 20 janvier 2010

A l'Ouest, l'homme qui venait de l'Est.

Préparez vous, un patient agité arrive avec la Police d'ici un quart d'heure ! Pour une fois nous ne sommes pas mis sur le fait accompli. Je n'ai pas le temps de dire ouf, que le patient est là hurlant, entouré de quatre policiers baraqués, franchement pas aimables. Le patient hurle de terreur en fait. Nos tenues blanches ne l'apaisent pas vraiment. Nous n'avons pas d'autre solution que de le contentionner dans une chambre d'isolement dénuée de tout mobilier, une bonne dose de neuroleptiques dans les fesses. Je crois que je ne m'y habituerai jamais. C'est franchement inhumain, mais il est vrai que c'est parfois ingérable autrement sur l'instant.

Nous n'avons aucune idée de l'identité du patient. Nous l'appellerons M. Xa. Il est admis sous contrainte, chez nous en psychiatrie, secteur fermé, car il s'est montré violent avec la Police. Il squattait une cage d'escalier depuis des jours. Les policiers sont intervenus à la demande des locataires de l'immeuble.
Le lendemain, nous ne pouvons toujours pas l'approcher. Il parle dans un mauvais anglais, soutenu d'un accent slave. Son seul discours est "I'have immunity","My name is secret". Il refuse de manger et boire, pensant que nous allons l'empoisonner. "Poison" répète-t-il. Après maintes négociations, dans un anglais tout aussi approximatif que le sien, il accepte de la nourriture sous vide et un jus de fruit cacheté. Il ne mange pas tout de suite. D'abord il déplace tout sur son plateau l'organisant à sa manière, les écritures des compotes et des yaourts toutes dans le même sens, les sachets de sucre reposant sur le rebord du plateau bien droits. Il essuie la cuillère à trois reprises. Il ouvre le pain et le coupe en petits morceaux regardant minutieusement à l'intérieur. Il ne supporte pas qu'on le touche et hurle dès qu'on s'approche. Il comprend enfin que nous voulons juste le détacher pour qu'il puisse aller aux toilettes. Entouré des hommes du service il va aux wc, puis à la douche, il est très sale. Il refuse de se déshabiller et prend sa douche en pyjama. Il accepte, je ne sais par quel miracle, de mettre un pyjama propre et sec en suivant.

Et là, commence l'interrogatoire avec le psychiatre qui tente de poser un diagnostic. Echec, il s'en tient toujours aux mêmes phrases stéréotypées. Nous ne savons rien de lui, ni même de quoi il souffre. On l'observe soliloquer seul dans sa chambre, il se balance nerveusement d'un pied sur l'autre il est halluciné. Les traitements sont injectés de force. C'est horrible. Il ne répond pas à ceux ci. A une dose pareille, nous, nous serions scotchés pour des jours. Lui il résiste, se montrant toujours aussi violent dès qu'il nous voit.
Nous inspectons ses affaires personnelles à la recherche d'un indice, pouvant nous renseigner sur son identité. Sa veste porte un logo d'une société en PACA. Nous recherchons la dite société sur Internet. Il s'avère que c'est une société fabriquant des explosifs pour l'armée ! Branle-bas de combat ! Le directeur de la société ne comprend pas comment c'est possible. Il ne lui manque aucun de ses agents, et leurs vestes de travail sont règlementées avec des matricules. Aucun matricule sur la veste de Mr Xa. Le mystère reste entier, les hypothèses d'espionnage et autres scenarii sont dans toutes les têtes. L'armée s'en mêle et enquête, la police revient pour une séance photos et les interrogatoires restent caduques. M. Xa ne déroge pas d'un millimètre de ses réponses habituelles. Il a l'immunité, son nom est secret, il a faim. C'est avec la nourriture que nous tentons de négocier car c'est la seule chose qui l'intéresse. Rien à faire.
Nous n'allons pas le faire jeuner jusqu'à ce qu'il parle. Nous sommes des soignants. Pour ma part, je lâche l'affaire, il semble très atteint, je n'ai pas besoin de savoir comment il s'appelle pour le prendre en charge. J'arrive à établir un climat de confiance. Avec moi il accepte de prendre son traitement oralement, plus besoin de le forcer et le piquer. Un jour, il accepte de participer à une activité thérapeutique que je propose. Il se joint au groupe, ne parle pas, reste sur la réserve mais comprend la consigne qui est de découper et de coller des images sur le thème de l'Automne. Il s'applique et son tableau est très joli. Il refuse de s'exprimer dessus. Je propose que chacun signe son tableau, avec derrière la tête l'idée que spontanément il signera de son nom... Pas bête la guêpe ! :). Consciencieusement il prend le stylo et commence à écrire un magnifique O. L'air de rien, je jubile. Et là, il continue par un K, puis s'arrête et me regarde en souriant, OK, ok, ok répète t-il à tue tête... Argh !

A ce jour, c'est à dire deux mois et demi plus tard. Nous ne savons toujours rien sur lui, mise à part qu'il viendrait d'un pays de l'Est en regard de son accent. Il a été transféré dans une unité de long séjour, il est calme et compliant. Il s'appelle toujours M. Xa, il a une trentaine d'années. L'enquête continue au delà de nos frontières. Le diagnostic posé est semble t-il une schizophrénie. A moins qu'il ne soit, un véritable espion qui joue parfaitement la comédie. J'en doute...
samedi 16 janvier 2010

ça, c'est fait !

J'étais confortablement installée dans ma petite vie d'avant. Rêveuse à souhait, j'oscillais entre travail, amis, famille et l'amant. Puis en sourdine veillait mon désir d'être infirmière. J'ai commencé à passer le concours à 25 ans. Puis à 26 et à 28. Je le réussissais, mais toujours sur liste d'attente. Attendre. Parfois dubitative, parfois ardemment. J'ai fait des bébés, j'ai fait semblant de me marier. J'ai rapidement divorcé. J'ai laissé grandir mes enfants. Plus très certaine d'avoir le courage. J'ai reçu des coups de pied au Q. Cause toujours, je rêve.
Mais enfin quoi ! Qu'est ce que tu attends ! Ben oui, je n'y crois plus vraiment. J'ai peur. Je vis. Je suis bien dans ma vie.
Bordel de m. ! Mais nous on y croit ! Qu'est ce que tu fais plantée là ! Je plante du rêve. Je le regarde pousser sans racine.
Et puis un jour, j'ai 40 ans. Mes plantations sont jolies, très décoratives. Je vais bien, tout va bien. J'ai aussi planter l'amant. Comme un vide, mais disponible. Je commence à écrire sur "un traceur de tout". Des cahiers éparpillés. Des histoires, des rêves.
En quatrième vitesse, j'envoie ma 6ème inscription au concours. Dernier jour, un acte presque manqué. Les mains dans les poches, j'y vais.
Mince, je suis reçue !
Tourbillon ! Fini le rêve, la vie paisible et désordonnée comme j'aime. Tout le monde sera bousculé autour de moi. Oui, je deviens un brin tendue (le mot est petit). En 1ère année, je rencontre un amoureux entre deux partiels. Tant bien que mal il est toujours là. Je souris. Il ne sait même pas que je suis, (que j'étais) une femme douce, calme et paisible.
Mais peut être que cette paix n'était que fuite, un vernis de surface ? Qui suis je aujourd'hui ? Je me sens transformée. Qu'ai je fais ? Relever un défi. Un défi personnel, mais aussi un défi partagé. Oui, je le partage avec mes enfants, ma Maman et ma soeur et bien sûr mes amis. J'ai l'impression d'avoir consolidé quelque chose de vital. Je me sens si heureuse aujourd'hui. Je les sens si fiers de moi ! "tain vé", j'en pleure ... Oupss, émotion ...
Je suis infirmière. Riche de mon expérience de 20 ans. Je ne suis pas hésitante une seule minute. Je ressens une sorte d'exaltation, une énergie stimulante. Comme si j'allais pouvoir exercer à ma juste valeur tout ce pour quoi je suis faite. C'est bête, j'ai toujours donné le meilleur de moi même, et je me suis toujours sentie reconnue pour cela. Mais là, ce n'est pas pareil. Là, c'est comme si j'en avais le droit, la légitimité.
J'ai envie de faire de grandes choses, j'ai la gnaque !

Je voudrais remercier plusieurs personnes qui me sont chères. Marie lou et Lucas, mes enfants qui m'ont soutenue presque gravement, investis et soucieux. C'est ma jolie Marie lou, qui la veille de mon D.E. m'a fait réviser mes démarches de soins avec un intérêt remarquable.
La palme revient à Krish, mon grand frère de coeur, qui s'est frappé pendant 3 ans toutes mes révisions de partiels. J'ai décidé de lui photocopier mon diplôme avec son nom à côté du mien.
Mais il y a aussi Emilie ma petite copine de classe, assises côte à côte pendant 3 ans, complices et solidaires pour tout.
Bien sûr mon Arf ! Alors lui, il n'a jamais craqué devant ma tension palpable au quotidien, m'a soutenue et encouragée toujours, il était là hier pour m'ouvrir ses bras sous le panneau d'affichage où je riais, pleurais tout mélangé.
Mais encore, mes amis, Laule (ma tendre amie), Isa (mon infirmière préférée), Nounie (ma chérie de toujours), Annick (mon amie retrouvée) Sylvie et Gil (mes espiègles et tornades amis), Rémi (mon copain de rue) et Michèle (l'instigatrice des coups de pied au Q) et d'autres... Mes amis virtuels presque tout aussi présents que ceux de la vraie vie...
Et enfin, Ma maman et ma soeurette Valérie. Toutes les deux, les piliers de ma vie. Des inséparables toutes les trois, liées par un amour inconditionnel, un amour de vie. Du vrai, de la richesse de coeur et d'esprit, un partage des savoirs, et des compétences, un trio soudé envers et contre tout. Je leur dois ma réussite et d'être celle que je suis...
Bon, qui d'autre ? Mon Hôpital quand même, qui m'a payée tout ce temps pour rester mon Q assis sur les bancs d'école... Certains des enseignants investis et encourageants... Et bien sûr, le nombre incalculable de professionnels de santé avec qui j'ai appris toute la technique et la théorie avec beaucoup de plaisir....
Bon, si j'ai oublié quelqu'un, vous le dîtes... J'ai la tête en fête.

Chroniques de couloirs

Le service des urgences est un endroit peu ordinaire, un lieu-dit dans l'hôpital, un lieu ouvert sur la cité. Une forme de carrefour hospitalier. Un lieu comme une scène. Une scène dont le rideau ne se referme jamais. Une scène, où les trois coups retentissent sans cesse. Il fourmille de figurants, acteurs malgré eux. Des acteurs qui ne répètent jamais, et qui pourtant répètent indéfiniment la tragédie, les mêmes scènes de la vie, l'enjeu des destinées. Tragédies quotidiennes, humaines. Mais où est donc passé le Docteur House ? Je ne l'ai point vu.

Il est 18.36. Un quart d'heure de pause. Je passe les portes vitrées et je respire un bol d'air. Je bois enfin mon café de 13.30. Il était froid, je l'ai fait réchauffer. Beurk, je n'aime pas le café réchauffé, mais celui là, il est délicieux. La clope qui va avec, me fait tourner la tête. (Mr Snake, évitez de me faire la morale, j'ai rendez vous en addicto, juste après l'obtention de mon DE.) Je suis claquée. 58 entrées en 5h. Je suis toute molle tout d'un coup. Je m'assois sur un rebord de misère un peu crado, avec un espèce de cendrier de misère lui aussi, tout aussi crado, où se mêlent gobelets en plastique, papiers de bonbons, paquets vides de chips et autres madeleines à deux euros les six. L'endroit est tout simplement merveilleux. Je pense 5 minutes à mon chéri, qui n'est plus mon chéri, mais toujours mon chéri. Rien, un instant de nostalgie. J'observe mon reflet dans la vitre d'en face. Mes cheveux sont un peu en bataille, ma tenue plus aussi impeccable. Des cernes de fatigue alourdissent mon visage mais je suis profondément fière d'être là. Je suis dans mon élément.

18.53, je me relève, jette mon gobelet, et repasse les portes vitrées dans l'autre sens. C'est reparti ! La tête dans le guidon. Cinq nouvelles personnes dans la salle de "tri". Tous, les perfuser, les bilanter, les constanter, poser les 1ers diagnostics, les évaluer, les rassurer, les surveiller, les diriger vers la radio, le scan, ou la "déchoc"... Mais ce n'est pas aussi simple. Un tel, vomit dans un sac, allo Dr pour rajouter un anti émétique, un tel n'est pas calmé par l'antalgique prescrit, allo Dr pour une titration morphinique. Un tel veut absolument qu'on aille rassurer son épouse qui attend en salle d'attente. Une autre s'agite, un autre désature, l'électro de Mr Coeur montre plusieurs extrasystoles qui pourraient bien partir en fibrillation ! Non, rien n'est simple ici ! A tout instant tout peut partir en sucette ! Mon seuil de vigilance est à son comble en permanence, l'adrénaline n'est pas seulement dans les p'tites ampoules, mais là circulant dans mes veines à toute allure.

Autant vous dire que quand je sors d'ici, la voiture rentre seule à la maison. Je suis vidée. Mais tellement satisfaite d'avoir participé à "sauver des vies"... Et ça, dans son job, c'est géant. C'est équilibrant. Je relativise plus spontanément sur mes petits maux quotidiens... Quand je suis là bas, j'oublie presque tout, ça me rattrape plus tard, puis ça s'étiole à nouveau, dès que j'enfile ma tenue...

Voilà, maintenant, après deux mois de stage ici, je sais que c'est là que je veux travailler. Là, au front, dans l'agitation, le risque, les débordements. Je suis bien campée dans mes "croc's rouges". Mes compétences professionnelles ont été reconnues, tant sur le plan humain que technique et théorique. En avant toute !

Lundi, j'attaque mon tout dernier stage (psychiatrie, secteur fermé). C'est là bas que je passe mon diplôme d'Etat. Trois ans et demi d'études sous pression continue ou presque. Trois ans et demi d'une vie agitée, bouleversée, mais bien remplie. Un grand merci à tous les gens qui m'entourent et m'accompagnent.

Quelqu'un veut il que je le perfuse ?

Et mon pull ? Toujours à l'envers... Mais doux et chaud.


Je parle en silence

Depuis une semaine je passe des heures sur mon TFE (travail de fin d'études). Je dois le rendre le 10 juillet. Oui, fin octobre je passe mon D.E ! Help ! Etant du genre à faire tout dans l'urgence, je ne manque pas à mes habitudes. Alors là, c'est trouille bleue, l' effervescence dans l'écriture. J'oscille entre l'envie d'écrire un roman sur mon sujet "la part du silence dans la relation soignant/soigné"chez un patient en soins palliatifs, et ce p..... de tefeu. Je bataille avec mes ressentis et la fameuse théorie que je dois exploiter.. Je n'aime pas théoriser, ça fige.
Une des questions que je me pose, c’est en quoi le silence partagé, au cours d’un soin peut il être aussi salvateur qu’une discussion?
En quoi ce silence, orienté par une intention d’apporter du réconfort, peut il engendrer chez le patient en fin de vie un cheminement dans ses pensées, un apaisement, une reconnaissance?
A quoi donc tient le délicat équilibre entre la parole et le silence bâti sur un accompagnement branché sur l’empathie et une attention de tous les instants?
Et quels sont les pièges à éviter?
Qu’est-ce que l’on fait lorsqu’on écoute ?
Est-il possible d’écouter l’autre sans s’écouter soi ?
Est-il possible de s’écouter soi sans écouter l’autre ?
Quelle est la place de l’autre en nous et la place de soi dans l’autre ?
Écouter, c’est devenir témoin de la parole qui se déploie. Celle-ci a besoin d’une certaine qualité de silence pour oser se dire. Je voudrais examiner la qualité des silences : de l’absence au mutisme, de la présence à la méditation, du désir en attente au silence habité… et la conséquence de cette qualité sur la parole, du bavardage jusqu’à la confidence. L’écoute est alors une réponse à la parole qui est elle-même une réponse au silence. Offrir un silence préparé est donc source de parole et chemin de l’écoute. Ce qui se dit guérit. l’esprit parle à l’esprit, le coeur parle au cœur, le silence parle au silence. L’écoute devient donc une forme d’être qui nous entraîne en pays inconnu.
Voilà, n'étant pas trop présente sur vos espaces car je bosse grave, je voulais vous faire part un peu de mes questionnements.
Si des réponses vous viennent spontanément, n'hésitez pas à écrire ce qui vous passe par la tête... Je rajouterai les plus jolies, ou celles qui m'interpellent à mon tfe, ça le rendra plus vivant et l'illustrera..
Bien, à vous.
Colombine
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