lundi 5 avril 2010

Sur le bord de la route

Samedi matin, les patients sont calmes, nous travaillons dans la bonne humeur, alternant les pauses café qui partent en sucette, les fous-rire et le travail nickel. 14.15 je rentre tranquille chez moi satisfaite de cette matinée de travail.
14.25 un petit attroupement sur le bord de la route, une moto couchée derrière le fossé, je ne vois pas la victime. Je m'arrête, pour voir ci celle ci est prise en charge car les secours ne sont pas là. Je traverse la voie et m'approche du fossé. Il est là recroquevillé face contre terre. Une femme est en train de lui prendre le pouls téléphone en main. J'entends :
- Il est inconscient, je ne sens pas le pouls".
Je saute dans le fossé, prends le pouls carotidien. Rien. La femme me tend le téléphone pour me passer le régulateur. Rapidement, je décris la situation. Arrêt cardiaque, homme environ 25 ans recroquevillé sur le ventre le visage contre terre, le casque a été éjecté, du sang coule de l'oreille. J'annonce que je suis obligée de le retourner pour commencer une réanimation cardio respiratoire. Ok, je raccroche.
Je lève les yeux vers les personnes autour.
- J'ai besoin d'hommes pour m'aider à le mettre sur le dos !
Personne ne bouge. J'entends :
- Vous êtes folle, il ne faut pas toucher les victimes !
- Venez m'aider ! Là, dans 5 minutes il sera définitivement mort si on ne fait pas repartir son cœur ! C'est la priorité !
Un instant je le sens bouger, je reprends le pouls, rien. Je rappelle les hommes, pas un ne vient, seules quatre femmes descendent pour m'aider. Précautionneusement nous effectuons le retournement, je lui tiens la tête dans l'alignement du tronc. Du sang coule par les yeux et le nez. Il semble déjà mort, toujours pas de pouls, il ne respire pas. Je commence le massage cardiaque. Il faut l'insuffler. Je demande, un sac plastique qui tarde à venir. Je m'énerve !
- Putain, il n'y a personne qui a un sac plastique dans sa voiture !
On me tend un sac vert fluo. Une des femmes me dit qu'elle est secouriste, elle prend le relais sur le massage cardiaque. Toujours pas de pouls. Je confectionne un entonnoir et l'applique dans la bouche. On se coordonne pour alterner insufflation/massage. La bouche se remplit de sang, je ne peux plus insuffler. Il faudrait une aspiration... Avec des kleenex, j'essaie d'évacuer le sang pour dégager les voies respiratoires, inutile. Je reprends le massage cardiaque. Combien de temps déjà ? Les secours ne sont toujours pas là. J'entends :
- Douze minutes déjà, on les rappelle!
De temps en temps, j'arrête le massage pour prendre le pouls, je ne compte pas. Je ne le lâche pas des yeux. Toujours rien. Le visage du jeune homme est cireux, les yeux sont ouverts, sans expression et saignent. Je sais qu'il est mort.
Une autre infirmière de l'hôpital en civil, qui finissait sa garde sans doute comme moi, me rejoint et prend le relais, je lui explique brièvement la situation. Je prends la tête du jeune homme entre mes mains. Et là, je pense à ses parents... Mentalement je les réunis. Je me penche vers lui pour lui apporter le plus de chaleur et de réconfort possible.
Une sirène. Je me sens faiblir. Je dis, aux pompiers :
- Une aspiration, il a du sang plein la bouche !
L'instant suivant, une deuxième sirène, le Samu. Je vois arriver Isa, ma meilleure amie (infirmière au Samu). Je lui fais signe, un instant elle s'étonne et me sourit brièvement. Puis extrêmement méthodique et professionnelle, avec le médecin et les pompiers, ils intubent, massent, choquent, essaient de poser une voie centrale, ça merde, ça s'agite.
Je suis assise à un mètre en arrière sur le talus, hagarde, le pantalon, les mains et les avant-bras couverts de sang. Discrètement, je crache sans cesse, j'ai la nausée, impossible d'avaler ma salive. Le ciel est gris, je suis transie de froid par un vent glacé. Les sacs du Samu sont éventrés partout, je ne vois plus le jeune homme, ils sont tous autour. Sur le scope du life-pack le tracé du coeur est plat, seuls les complexes dus aux massages cardiaques font illusion. Un pompier me propose de venir dans le camion me réchauffer et me rincer. Je le suis, mes jambes me portent à peine.
J'attendrais jusqu'à la fin. A peu près 50 minutes d'acharnement supplémentaires. Je songe, il était sans doute déjà mort quand je suis intervenue, certainement sur le coup. Je l'avais senti bouger ? Une fausse impression ? Un tressaillement incoercible du à l'engagement du cerveau sous la pression de l'hémorragie cérébrale ? On ne l'a pas sauvé.
Hier, dans le journal, quatre lignes...
vendredi 26 février 2010

Déchirure dans le silence de l'agneau

Il est 14h, je débute ma garde.
Il avance. Il avance beaucoup trop. Me bouscule de l'épaule.
- Dis, t'as pas une clope !
Le ton est agressif et me surprend. Dans mon désarroi, je lui réponds que nous sommes avant tout un service de soins, pas un distributeur de tabac, que je vais appeler sa famille pour qu'elle lui en apporte.
- Qu'est ce qu'elle a la connasse ! Et toi là, file moi une clope !
- Non Monsieur, les autres patients vous dépannent depuis hier, ça suffit. Donnez moi le numéro de quelqu'un qui puisse vous en amener. je vous demande de baisser le ton immédiatement. Et arrêtez d'être insultant, je suis une infirmière et dans ce service pour vous soigner, et non, pour me faire insulter. Ici, il y a des règles de vie, un cadre. Vous êtes là pour avoir des soins.
A vrai dire, je tremble à l'intérieur, la tension est hostile et palpable. Je ne suis pas armée, ni habituée à me faire insulter. Une certaine confusion règne en moi. Ai je bien fait ? Où sont les limites ? Que dois je accepter ou pas ?
M.B est un jeune toxicomane, délinquant et psychopathe avec délires de persécution. Je ne le connais pas, j'ai seulement eu des transmissions à la relève. Il nous a été amené par la Police, car il est déjà en HO (hospitalisation d'office) dans un hôpital de Toulouse d'où il vient de s'évader. Il peut être très violent, a plusieurs délits à son actif. Hum, et moi bien sûr, j'ai fait ça toute ma vie, 3 mois que je suis infirmière et affectée dans le secteur psychiatrie.

Première règle en psychiatrie, Tout patient peut se montrer imprévisible et passer à l'acte. Ne pas laisser monter et s'installer la tension, agir et recadrer immédiatement. Si ça ne fonctionne pas se référer à la prescription "en cas d'agitation: injection intramusculaire 2 ampoules de "Z" + 2 ampoules de "C". Par acquis de conscience je demande à l'interne la conduite à tenir puisqu'elle est présente. Elle est occupée au téléphone, je sors dans le couloir. Du coin de l'œil je surveille le patient. Il est en train de former un petit groupe. Il ne se trompe pas, choisit les plus instables, fragiles et influençables avec eux aussi, un passé de délinquant. Le jeune Neiss lui aussi devient irritable et insultant. Quant au troisième il sourit d'un air pervers. C'est pas bon tout ça. Je réitère ma demande à l'interne. Elle chipote. Je la soupçonne d'être un peu dépassée par ce genre d'évènement. Sauf qu'elle, elle est sagement derrière son bureau, porte fermée à faire de la paperasse. Elle n'est pas exposée directement. Dans le couloir l'hostilité monte, les regards se font noirs. Je ne sens pas le truc. Je prends les dossiers, j'insiste. Agacée me semble t il, l'interne me répond un peu sèchement" bon, amène moi Neiss". A mon sens ce n'est pas lui la priorité, lui ne fait que suivre l'émulation. Je me tais pour ne pas outrepasser mes fonctions. L'entretien est un peu houleux et difficile. L'interne appelle le médecin chef, ce qu'elle aurait du faire tout de suite. Ni une ni deux, Neiss est recadré et obtempère.

Le jeune au sourire pervers se montre complètement délirant. Un satellite dans le ciel l'observe et lui veut du mal. Son humeur est fluctuante. A certains moments il a le regard d'un enfant, dans la minute qui suit, il a ce sourire sardonique. Quelque chose d'hermétique dans le contact et d'inquiétant. Isolement et injection. Allo la sécurité car il refuse. Devant les baraqués de la sécurité qui roulent des mécaniques (inutilement), il se laisse faire. Je déteste ces instants là. Je tente d'être douce et rassurante pendant le geste. Mais je suis en contradiction. L'aiguille mesure 6 cms et s'enfonce difficilement dans la fesse contractée. Je vois son visage tendu. Un mélange de peur, de contrainte et de colère contenue. Argh !

M. B n'a même pas droit à un entretien. Son lourd passé dangereux est reconnu. Le médecin chef me demande d'appeler la sécurité immédiatement. Injection, isolement et contention. Là ce n'est pas la même histoire. M.B a fait de la prison et rien ne l'impressionne. Il me regarde méchamment.
- C'est toi sale garce ! C'est à cause de toi que je me retrouve là !
Les baraqués jubilent... Il va y avoir de l'action...
- Non, ce n'est pas à cause de moi, vous êtes là pour recevoir des soins. Vous avez besoin d'être apaisé, là tout de suite. On ne peut pas accepter les débordements.
Acceptez vous de vous mettre sur le ventre que je puisse vous administrer le traitement ?
- c'est quoi ça ? !
- Un traitement qui va vous aider à dormir.
- Je ne veux pas être attaché !
- Nous ne vous mettons que la contention ventrale et nous l'enlèverons dès que vous serez calme.
Les baraqués "déjubilent", mince il obtempère.
Étonnamment, je suis en apparence calme et pro. A l'intérieur, je sens la bataille. Je ne suis pas rassurée. J'ai peur des représailles. Je ne montre rien. Les baraqués le tiennent au cas où... Je leur demande d'être doux. Une fois injecté, M. B a le regard noir et menaçant. Je lui propose une collation. Il m'envoie paître. Je lui dis que je reviens dans une heure surveiller sa tension et lui reproposer de boire et manger. Il me fait un doigt d'honneur.
Je referme la porte. Il est 18h.
Je suis choquée, mais je continue. Je ne m'écoute pas.
D'ailleurs, je n'ai pas le temps de dire ouf que le SAMU m'appelle, "nous arrivons avec un patient en HO dans 5 minutes, préparez une chambre d'isolement, des contentions et une injection."
Aaaah me dis-je intérieurement, tous les autres patients sont à table. C'est bien le moment ! Je dois déménager Mme X pour libérer une chambre d'iso. Nous ne sommes que quatre, 2 infirmières, un ash et une aide soignante pour 25 patients dont "nos charmants" déjà contentionnés. C'est la fête ! L reste en salle à manger pour gérer le repas, R va chercher la contention, G prépare l'injection et moi je fais valser les draps, désinfecte le lit et le refais illico.
Ding dong ! Le digicode ouvre la porte. Un patibulaire menotté et entouré de 5 policiers entre. Tous les patients s'arrêtent de manger. J'entends Vincent un jeune bipolaire dire: "Mais c'est quoi ce fou qui arrive ici"!
Allez zou ! A ce stade là, je ne me pose plus de questions existentielles, je n'en ai plus le temps. Bing bang boum. Sur le lit, sur le ventre, pique, attache avec quelques mots censés le rassurer qui sonnent franchement faux. Là, je suis dépassée, j'agis en automate. Je déplore. Mais c'est quoi ce boulot d'infirmière ? Je ne sais plus bien.
21h15 je fume ma cigarette, j'ai dépassé mon heure, mais je suis là scotchée en salle de repos, l'air un peu hagard. Je n'arrive pas à partir. C'est seulement deux jours plus tard que je lâcherai la tension nerveuse au creux des bras de mon chéri.



mercredi 3 février 2010

Le sac à main rouge

Elle déambule dans les couloirs, demandant à chaque porte, qu'on lui rende son sac rouge. Longiligne et gracieuse Marina est pourtant dans un état pitoyable. Sans âge et édentée on lui a redonné son dentier. C'est pire, il tombe et rend inaudible la plupart de ses paroles. Ses cheveux gris sont longs et maigres. Elle persiste à vouloir les sécher en vrac, pour leur donner du volume. Le résultat ne fait qu'accentuer son air dément. Des restes de rouge sur les ongles, l'hôpital ne fournit pas de dissolvant; Penser à en acheter la prochaine fois que je vais aux courses. Sur son pyjama dépareillé elle a mis un gilet à frou-frou qui lui donne un air de princesse Russe déchue. Lorsqu'elle fume, il ne lui manque que le porte cigarette, elle garde le geste précieux.

Le ton monte régulièrement elle est dans le déni de la maladie et s'oppose à tout. Régulièrement, quand elle recrache ses médicaments, nous sommes obligés de lui faire une injection contre son gré. J'exécute ce geste en serrant les dents, je ferme les écoutilles pour ne pas entendre ses hurlements. Elle dort quelques heures. Puis tambourine sur sa porte, elle a démonté sa chambre, a uriné partout.

Au staff, je propose qu'on lui rende son sac rouge et ses vêtements personnels pour lui redonner quelques repères et un brin de dignité. Le psychiatre me rappelle qu'elle a déjà fugué quelques jours après son arrivée. D'où la prescription du pyjama. Oui, mais bon...

Bon, d'accord. Marina est ravie d'apprendre que je vais lui rendre son sac rouge. Elle me suit en faisant des entre-chats. Je vérifie le contenu. Un vrai sac de femme puissance dix. Un fouillis invraisemblable. Du maquillage en vrac, des bouts de rouges à lèvre, des cigarettes brisées, des morceaux d'articles découpés, des bons de réduction, des briquets colorés, un peigne où il manque deux dents sur cinq, des miettes de gâteaux, un tube de crème pour les mains débouché qui a enduit le fond du sac, un petit couteau oups j'enlève, un portable version 95 genre cabine téléphonique hs, un bouchon de lavabo avec sa chaînette, des bijoux de pacotille, des lettres jaunies et là, au milieu de tout ce fourbi, une photo. Marina à 25 ans. Une vraie star de cinéma digne d'Ava ou Marilyn.
"C'est vous !?" "Ben qu'est ce que tu crois poulette ! Oui, c'est moi !" "Qu'est ce que vous êtes belle." " Et tu le vois bien que je ne suis pas folle, je suis une princesse, je te dis, j'arrête pas de vous le dire ! Je veux retrouver mon Prince ! Sortez moi de là !" Le prince en question est un homme violent et alcoolique en cours de procès pour avoir battu Marina presque à mort.
"Écoutez Marina, voilà votre sac rouge, et attendez, je vais vous donner vos vêtements." Marina sourit, ses yeux brillent d'impatience. Grand moment de solitude, à la vue du sac d'habits. Quelques vêtements qui furent certainement chics un jour. Froissés, miteux, tachés, déplumés sentant la naphtaline et le renfermé. Bon tant pis, elle a l'air si heureuse de les revoir. Elle s'habille en tourbillonnant, s'ajuste, redresse la tête et les épaules et d'un geste gracieux secoue les fausses plumes de son pull troué.
Il n' y a pas à dire, elle est transformée.
Attendrie, je regarde Marina repartir dans le couloir, fière, le sac rouge à son bras, ses "frou-frou" et sa démarche de star quelque peu titubante en regard des traitements qui restent encore inefficaces sur la phase maniaque.
mercredi 20 janvier 2010

A l'Ouest, l'homme qui venait de l'Est.

Préparez vous, un patient agité arrive avec la Police d'ici un quart d'heure ! Pour une fois nous ne sommes pas mis sur le fait accompli. Je n'ai pas le temps de dire ouf, que le patient est là hurlant, entouré de quatre policiers baraqués, franchement pas aimables. Le patient hurle de terreur en fait. Nos tenues blanches ne l'apaisent pas vraiment. Nous n'avons pas d'autre solution que de le contentionner dans une chambre d'isolement dénuée de tout mobilier, une bonne dose de neuroleptiques dans les fesses. Je crois que je ne m'y habituerai jamais. C'est franchement inhumain, mais il est vrai que c'est parfois ingérable autrement sur l'instant.

Nous n'avons aucune idée de l'identité du patient. Nous l'appellerons M. Xa. Il est admis sous contrainte, chez nous en psychiatrie, secteur fermé, car il s'est montré violent avec la Police. Il squattait une cage d'escalier depuis des jours. Les policiers sont intervenus à la demande des locataires de l'immeuble.
Le lendemain, nous ne pouvons toujours pas l'approcher. Il parle dans un mauvais anglais, soutenu d'un accent slave. Son seul discours est "I'have immunity","My name is secret". Il refuse de manger et boire, pensant que nous allons l'empoisonner. "Poison" répète-t-il. Après maintes négociations, dans un anglais tout aussi approximatif que le sien, il accepte de la nourriture sous vide et un jus de fruit cacheté. Il ne mange pas tout de suite. D'abord il déplace tout sur son plateau l'organisant à sa manière, les écritures des compotes et des yaourts toutes dans le même sens, les sachets de sucre reposant sur le rebord du plateau bien droits. Il essuie la cuillère à trois reprises. Il ouvre le pain et le coupe en petits morceaux regardant minutieusement à l'intérieur. Il ne supporte pas qu'on le touche et hurle dès qu'on s'approche. Il comprend enfin que nous voulons juste le détacher pour qu'il puisse aller aux toilettes. Entouré des hommes du service il va aux wc, puis à la douche, il est très sale. Il refuse de se déshabiller et prend sa douche en pyjama. Il accepte, je ne sais par quel miracle, de mettre un pyjama propre et sec en suivant.

Et là, commence l'interrogatoire avec le psychiatre qui tente de poser un diagnostic. Echec, il s'en tient toujours aux mêmes phrases stéréotypées. Nous ne savons rien de lui, ni même de quoi il souffre. On l'observe soliloquer seul dans sa chambre, il se balance nerveusement d'un pied sur l'autre il est halluciné. Les traitements sont injectés de force. C'est horrible. Il ne répond pas à ceux ci. A une dose pareille, nous, nous serions scotchés pour des jours. Lui il résiste, se montrant toujours aussi violent dès qu'il nous voit.
Nous inspectons ses affaires personnelles à la recherche d'un indice, pouvant nous renseigner sur son identité. Sa veste porte un logo d'une société en PACA. Nous recherchons la dite société sur Internet. Il s'avère que c'est une société fabriquant des explosifs pour l'armée ! Branle-bas de combat ! Le directeur de la société ne comprend pas comment c'est possible. Il ne lui manque aucun de ses agents, et leurs vestes de travail sont règlementées avec des matricules. Aucun matricule sur la veste de Mr Xa. Le mystère reste entier, les hypothèses d'espionnage et autres scenarii sont dans toutes les têtes. L'armée s'en mêle et enquête, la police revient pour une séance photos et les interrogatoires restent caduques. M. Xa ne déroge pas d'un millimètre de ses réponses habituelles. Il a l'immunité, son nom est secret, il a faim. C'est avec la nourriture que nous tentons de négocier car c'est la seule chose qui l'intéresse. Rien à faire.
Nous n'allons pas le faire jeuner jusqu'à ce qu'il parle. Nous sommes des soignants. Pour ma part, je lâche l'affaire, il semble très atteint, je n'ai pas besoin de savoir comment il s'appelle pour le prendre en charge. J'arrive à établir un climat de confiance. Avec moi il accepte de prendre son traitement oralement, plus besoin de le forcer et le piquer. Un jour, il accepte de participer à une activité thérapeutique que je propose. Il se joint au groupe, ne parle pas, reste sur la réserve mais comprend la consigne qui est de découper et de coller des images sur le thème de l'Automne. Il s'applique et son tableau est très joli. Il refuse de s'exprimer dessus. Je propose que chacun signe son tableau, avec derrière la tête l'idée que spontanément il signera de son nom... Pas bête la guêpe ! :). Consciencieusement il prend le stylo et commence à écrire un magnifique O. L'air de rien, je jubile. Et là, il continue par un K, puis s'arrête et me regarde en souriant, OK, ok, ok répète t-il à tue tête... Argh !

A ce jour, c'est à dire deux mois et demi plus tard. Nous ne savons toujours rien sur lui, mise à part qu'il viendrait d'un pays de l'Est en regard de son accent. Il a été transféré dans une unité de long séjour, il est calme et compliant. Il s'appelle toujours M. Xa, il a une trentaine d'années. L'enquête continue au delà de nos frontières. Le diagnostic posé est semble t-il une schizophrénie. A moins qu'il ne soit, un véritable espion qui joue parfaitement la comédie. J'en doute...
samedi 16 janvier 2010

ça, c'est fait !

J'étais confortablement installée dans ma petite vie d'avant. Rêveuse à souhait, j'oscillais entre travail, amis, famille et l'amant. Puis en sourdine veillait mon désir d'être infirmière. J'ai commencé à passer le concours à 25 ans. Puis à 26 et à 28. Je le réussissais, mais toujours sur liste d'attente. Attendre. Parfois dubitative, parfois ardemment. J'ai fait des bébés, j'ai fait semblant de me marier. J'ai rapidement divorcé. J'ai laissé grandir mes enfants. Plus très certaine d'avoir le courage. J'ai reçu des coups de pied au Q. Cause toujours, je rêve.
Mais enfin quoi ! Qu'est ce que tu attends ! Ben oui, je n'y crois plus vraiment. J'ai peur. Je vis. Je suis bien dans ma vie.
Bordel de m. ! Mais nous on y croit ! Qu'est ce que tu fais plantée là ! Je plante du rêve. Je le regarde pousser sans racine.
Et puis un jour, j'ai 40 ans. Mes plantations sont jolies, très décoratives. Je vais bien, tout va bien. J'ai aussi planter l'amant. Comme un vide, mais disponible. Je commence à écrire sur "un traceur de tout". Des cahiers éparpillés. Des histoires, des rêves.
En quatrième vitesse, j'envoie ma 6ème inscription au concours. Dernier jour, un acte presque manqué. Les mains dans les poches, j'y vais.
Mince, je suis reçue !
Tourbillon ! Fini le rêve, la vie paisible et désordonnée comme j'aime. Tout le monde sera bousculé autour de moi. Oui, je deviens un brin tendue (le mot est petit). En 1ère année, je rencontre un amoureux entre deux partiels. Tant bien que mal il est toujours là. Je souris. Il ne sait même pas que je suis, (que j'étais) une femme douce, calme et paisible.
Mais peut être que cette paix n'était que fuite, un vernis de surface ? Qui suis je aujourd'hui ? Je me sens transformée. Qu'ai je fais ? Relever un défi. Un défi personnel, mais aussi un défi partagé. Oui, je le partage avec mes enfants, ma Maman et ma soeur et bien sûr mes amis. J'ai l'impression d'avoir consolidé quelque chose de vital. Je me sens si heureuse aujourd'hui. Je les sens si fiers de moi ! "tain vé", j'en pleure ... Oupss, émotion ...
Je suis infirmière. Riche de mon expérience de 20 ans. Je ne suis pas hésitante une seule minute. Je ressens une sorte d'exaltation, une énergie stimulante. Comme si j'allais pouvoir exercer à ma juste valeur tout ce pour quoi je suis faite. C'est bête, j'ai toujours donné le meilleur de moi même, et je me suis toujours sentie reconnue pour cela. Mais là, ce n'est pas pareil. Là, c'est comme si j'en avais le droit, la légitimité.
J'ai envie de faire de grandes choses, j'ai la gnaque !

Je voudrais remercier plusieurs personnes qui me sont chères. Marie lou et Lucas, mes enfants qui m'ont soutenue presque gravement, investis et soucieux. C'est ma jolie Marie lou, qui la veille de mon D.E. m'a fait réviser mes démarches de soins avec un intérêt remarquable.
La palme revient à Krish, mon grand frère de coeur, qui s'est frappé pendant 3 ans toutes mes révisions de partiels. J'ai décidé de lui photocopier mon diplôme avec son nom à côté du mien.
Mais il y a aussi Emilie ma petite copine de classe, assises côte à côte pendant 3 ans, complices et solidaires pour tout.
Bien sûr mon Arf ! Alors lui, il n'a jamais craqué devant ma tension palpable au quotidien, m'a soutenue et encouragée toujours, il était là hier pour m'ouvrir ses bras sous le panneau d'affichage où je riais, pleurais tout mélangé.
Mais encore, mes amis, Laule (ma tendre amie), Isa (mon infirmière préférée), Nounie (ma chérie de toujours), Annick (mon amie retrouvée) Sylvie et Gil (mes espiègles et tornades amis), Rémi (mon copain de rue) et Michèle (l'instigatrice des coups de pied au Q) et d'autres... Mes amis virtuels presque tout aussi présents que ceux de la vraie vie...
Et enfin, Ma maman et ma soeurette Valérie. Toutes les deux, les piliers de ma vie. Des inséparables toutes les trois, liées par un amour inconditionnel, un amour de vie. Du vrai, de la richesse de coeur et d'esprit, un partage des savoirs, et des compétences, un trio soudé envers et contre tout. Je leur dois ma réussite et d'être celle que je suis...
Bon, qui d'autre ? Mon Hôpital quand même, qui m'a payée tout ce temps pour rester mon Q assis sur les bancs d'école... Certains des enseignants investis et encourageants... Et bien sûr, le nombre incalculable de professionnels de santé avec qui j'ai appris toute la technique et la théorie avec beaucoup de plaisir....
Bon, si j'ai oublié quelqu'un, vous le dîtes... J'ai la tête en fête.

Chroniques de couloirs

Le service des urgences est un endroit peu ordinaire, un lieu-dit dans l'hôpital, un lieu ouvert sur la cité. Une forme de carrefour hospitalier. Un lieu comme une scène. Une scène dont le rideau ne se referme jamais. Une scène, où les trois coups retentissent sans cesse. Il fourmille de figurants, acteurs malgré eux. Des acteurs qui ne répètent jamais, et qui pourtant répètent indéfiniment la tragédie, les mêmes scènes de la vie, l'enjeu des destinées. Tragédies quotidiennes, humaines. Mais où est donc passé le Docteur House ? Je ne l'ai point vu.

Il est 18.36. Un quart d'heure de pause. Je passe les portes vitrées et je respire un bol d'air. Je bois enfin mon café de 13.30. Il était froid, je l'ai fait réchauffer. Beurk, je n'aime pas le café réchauffé, mais celui là, il est délicieux. La clope qui va avec, me fait tourner la tête. (Mr Snake, évitez de me faire la morale, j'ai rendez vous en addicto, juste après l'obtention de mon DE.) Je suis claquée. 58 entrées en 5h. Je suis toute molle tout d'un coup. Je m'assois sur un rebord de misère un peu crado, avec un espèce de cendrier de misère lui aussi, tout aussi crado, où se mêlent gobelets en plastique, papiers de bonbons, paquets vides de chips et autres madeleines à deux euros les six. L'endroit est tout simplement merveilleux. Je pense 5 minutes à mon chéri, qui n'est plus mon chéri, mais toujours mon chéri. Rien, un instant de nostalgie. J'observe mon reflet dans la vitre d'en face. Mes cheveux sont un peu en bataille, ma tenue plus aussi impeccable. Des cernes de fatigue alourdissent mon visage mais je suis profondément fière d'être là. Je suis dans mon élément.

18.53, je me relève, jette mon gobelet, et repasse les portes vitrées dans l'autre sens. C'est reparti ! La tête dans le guidon. Cinq nouvelles personnes dans la salle de "tri". Tous, les perfuser, les bilanter, les constanter, poser les 1ers diagnostics, les évaluer, les rassurer, les surveiller, les diriger vers la radio, le scan, ou la "déchoc"... Mais ce n'est pas aussi simple. Un tel, vomit dans un sac, allo Dr pour rajouter un anti émétique, un tel n'est pas calmé par l'antalgique prescrit, allo Dr pour une titration morphinique. Un tel veut absolument qu'on aille rassurer son épouse qui attend en salle d'attente. Une autre s'agite, un autre désature, l'électro de Mr Coeur montre plusieurs extrasystoles qui pourraient bien partir en fibrillation ! Non, rien n'est simple ici ! A tout instant tout peut partir en sucette ! Mon seuil de vigilance est à son comble en permanence, l'adrénaline n'est pas seulement dans les p'tites ampoules, mais là circulant dans mes veines à toute allure.

Autant vous dire que quand je sors d'ici, la voiture rentre seule à la maison. Je suis vidée. Mais tellement satisfaite d'avoir participé à "sauver des vies"... Et ça, dans son job, c'est géant. C'est équilibrant. Je relativise plus spontanément sur mes petits maux quotidiens... Quand je suis là bas, j'oublie presque tout, ça me rattrape plus tard, puis ça s'étiole à nouveau, dès que j'enfile ma tenue...

Voilà, maintenant, après deux mois de stage ici, je sais que c'est là que je veux travailler. Là, au front, dans l'agitation, le risque, les débordements. Je suis bien campée dans mes "croc's rouges". Mes compétences professionnelles ont été reconnues, tant sur le plan humain que technique et théorique. En avant toute !

Lundi, j'attaque mon tout dernier stage (psychiatrie, secteur fermé). C'est là bas que je passe mon diplôme d'Etat. Trois ans et demi d'études sous pression continue ou presque. Trois ans et demi d'une vie agitée, bouleversée, mais bien remplie. Un grand merci à tous les gens qui m'entourent et m'accompagnent.

Quelqu'un veut il que je le perfuse ?

Et mon pull ? Toujours à l'envers... Mais doux et chaud.


Je parle en silence

Depuis une semaine je passe des heures sur mon TFE (travail de fin d'études). Je dois le rendre le 10 juillet. Oui, fin octobre je passe mon D.E ! Help ! Etant du genre à faire tout dans l'urgence, je ne manque pas à mes habitudes. Alors là, c'est trouille bleue, l' effervescence dans l'écriture. J'oscille entre l'envie d'écrire un roman sur mon sujet "la part du silence dans la relation soignant/soigné"chez un patient en soins palliatifs, et ce p..... de tefeu. Je bataille avec mes ressentis et la fameuse théorie que je dois exploiter.. Je n'aime pas théoriser, ça fige.
Une des questions que je me pose, c’est en quoi le silence partagé, au cours d’un soin peut il être aussi salvateur qu’une discussion?
En quoi ce silence, orienté par une intention d’apporter du réconfort, peut il engendrer chez le patient en fin de vie un cheminement dans ses pensées, un apaisement, une reconnaissance?
A quoi donc tient le délicat équilibre entre la parole et le silence bâti sur un accompagnement branché sur l’empathie et une attention de tous les instants?
Et quels sont les pièges à éviter?
Qu’est-ce que l’on fait lorsqu’on écoute ?
Est-il possible d’écouter l’autre sans s’écouter soi ?
Est-il possible de s’écouter soi sans écouter l’autre ?
Quelle est la place de l’autre en nous et la place de soi dans l’autre ?
Écouter, c’est devenir témoin de la parole qui se déploie. Celle-ci a besoin d’une certaine qualité de silence pour oser se dire. Je voudrais examiner la qualité des silences : de l’absence au mutisme, de la présence à la méditation, du désir en attente au silence habité… et la conséquence de cette qualité sur la parole, du bavardage jusqu’à la confidence. L’écoute est alors une réponse à la parole qui est elle-même une réponse au silence. Offrir un silence préparé est donc source de parole et chemin de l’écoute. Ce qui se dit guérit. l’esprit parle à l’esprit, le coeur parle au cœur, le silence parle au silence. L’écoute devient donc une forme d’être qui nous entraîne en pays inconnu.
Voilà, n'étant pas trop présente sur vos espaces car je bosse grave, je voulais vous faire part un peu de mes questionnements.
Si des réponses vous viennent spontanément, n'hésitez pas à écrire ce qui vous passe par la tête... Je rajouterai les plus jolies, ou celles qui m'interpellent à mon tfe, ça le rendra plus vivant et l'illustrera..
Bien, à vous.
Colombine
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